Venu de loin, où comment comprendre un fléau ?

For homework this week, my teacher asked me to write a review of a play I saw recently. It wasn’t a French play (though it was Canadian), but I didn’t feel like writing about any of the French plays I’d read recently. So I dashed off 1000 words in about two and a half hours, then did some light corrections with my teacher. Here’s the edited version. Nothing special, but a good exercise in writing — something I’ve done less of lately than in the summer and fall.

Est-ce que la comédie musicale sert à comprendre un fléau ?

« Il s’agit du 11 septembre, cette comédie musicale ». Voilà la phrase qu’on entend partout dans les comptes rendus de Venu de Loin, la comédie musicale canadienne créée en 2017 et jouée encore (où bien, encore une fois après une pause covidienne) à Broadway. Les chroniqueurs plus raffinés se nuancent en disant « Mais vraiment, il s’agit du 12 septembre », parce que les auteurs Irène Sankoff et David Hein nous montrent des sentiments et des actions qui se déroulent dans les jours qui suivent cet attentat et à 2 000 km de là. Ces deux observations sont correctes, mais après avoir lu ces constatations plusieurs fois, j’ai commencé à me demander: Pourquoi est-ce que c’est notable ? Pourquoi l’air de surprise autour de ces remarques ?

C’est normal que les sept arts traitent les fléaux. Le quatrième art nous donne des romans comme La nuit de Weisel, À l’Ouest, rien de nouveau de Hemingway, ou La peste de Camus. Le septième art nous rend La vie est belle, de Benigni, le troisième Guernica de Picasso, le premier Mémorial des anciens combattants du Viêt Nam conçu par Maya Lin. Bien sûr qu’on dit « Il s’agit de l’Holocauste. » ou « Il s’agit de la guerre civile espagnole. », mais on le dit sans être étonné. Mais c’est rare qu’une comédie musicale, enfant vulgaire du cinquième et sixième art, aborde un tel sujet.

La comédie musicale américaine a ses origines dans les petits spectacles ménestrels créés dans les années 1820. Elle est restée dans le domaine du burlesque pendant cent ans avant d’évoluer un peu au début du XXe siècle. Mais ce n’est qu’avec la création de Oklahoma en 1943 que cette forme passe d’un ensemble de chansons populaires défilées sans organisation à une histoire intégrale qui utilise les chansons pour faire évoluer l’intrigue. Les œuvres de Stephen Sondheim (mort il y seulement quelques mois) ont encore transformé ce genre en accordant aux comédiens des arias qui ne font pas évoluer l’intrigue, mais qui approfondissent leurs personnages. Ces arias  traitent de sujets sérieux comme la nature de la réalité, le but d’existence, la mort, l’amour, et les remords. Mais Sondheim reste au niveau personnel, évitant les grands événements dans la société (avec l’exception de Les Assassins, qui ne fonctionne guère à mon avis.)

Est-ce que la comédie musicale convient à la tragédie ? Je ne parle pas d’une exploitation comme Les Producteurs (spectacle de Mel Brooks à l’affiche actuellement en adaptation français par Alexis Michalik). Ça, c’est une farce pure qui utilise l’idée d’une comédie à propos d’Adolf Hitler pour illustrer ce qui est carrément destiné à faire un four théâtrale. Non, je parle d’un effort sérieux à utiliser un art léger pour dire quelque chose de sincère et d’honnête à propos d’un fléau. Ce n’est pas du tout évident. Jeudi 24 février, 2022, j’ai assisté à l’enregistrement d’un épisode de Programme tard avec Stephen Colbert à New York. C’était l’après-midi du jour même où les armées russes ont lancé leur invasion de l’Ukraine. M. Colbert a essayé de faire sa chronique humoristique quotidienne, mais le sujet lui a résisté. Il n’a pas pu trouver les mots qui nous feraient rire de cette guerre immédiate en éclaircissant quelques vérités subtiles. Ces blagues sont tombées presque sans réaction, pendant que le public bougeait inconfortablement à sa place. 

Deux jours plus tard, je suis encore allé au théâtre pour voir Venu de Loin. Cette fois-ci, la comédie a bien marché, soutenue par le drame et la musique. Le spectacle ne commence pas avec l’attentat du 11 septembre, mais avec les présentations des habitants ordinaires de Gander, Terre-Neuve, Canada: la femme qui s’occupe des animaux abandonnés; l’enseignante qui accueille ses élèves ce premier matin de la rentrée; l’agent de police qui n’a rien à faire que donner des avertissements au cocitoyen qui ne ralentit pas assez au passage piéton; la jeune journaliste qui commence son boulot à la chaine locale; le chef du syndicat des conducteurs d’autobus, qui font la grève. Chacun nous adresse quelques répliques qui annoncent sa routine matinale ou comment elle l’a basculée. Quelques minutes plus tard, ils entendent parler de l’attentat à la radio, et ils sont alertés que certains avions vont se poser à l’aéroport tout de suite. Encore, on nous présente des personnages, maintenant les occupants des avions: un homme d’affaire anglais; une grand-mère de New York; un couple homosexuel de Los Angeles; un chef de cuisine égyptien; la commandante d’un Boeing 747. En quelques mots, ils nous parlent de leurs occupations, leurs destinations, leurs vies. Et puis, leur déboussolement d’avoir atterri au Canada sans avoir été prévenu.

Par la suite, nous voyons les événements plutôt logistiques que dramatiques. Où héberger 7 000 personnes dans une petite ville de 9 000 âmes ? Comment les munir de vêtements, de nourriture, de médicaments ? De quels téléphones et ordinateurs peuvent-t-ils se servir ? Imbriqués dans ses questions prosaïques sont des petits discours, fugaces, à propos des sentiments profonds: la perte, l’isolation, la peur, la mort, et la haine. Les morceaux musicaux sont des tapisseries de voix, pas en chœur mais en séries. C’est quoi l’émotion d’isolation pour un homme d’affaires, une commandante, une grand-mère, un New Yorkais, un Égyptien ? Est-il universel ou particulier ? Ces sujets sont lourds, mais les paroles sont parsemées de petits gestes, un humour naturel exprimé par les personnages pour apaiser leurs propres anxiétés et pas seulement pour faire rire le public. Nous nous identifions avec chacune de ces voix, nous nous troublons et, pour ceux parmi nous qui avons plus de quinze ans, nous nous rappelons nos émotions de cette journée et cette semaine pénible.

Est-ce que la comédie musicale sert à comprendre un fléau ? Avant d’avoir vu Venu de Loin, je dirai «seulement avec difficulté». Le seul exemple que j’aurais identifié c’est Cabaret, qui se situe à Berlin dans les années trente. Il réussit à un certain point à représenter la particularité de souffrance du fléau à venir, mais il y avait trop de scènes burlesques entremêlées. Avec Venu de Loin, je peux répondre sans hésitation. Ici, nous voyons la démocratisation du deuil, et un petit triomphe de la communauté. C’est ironique, pourtant, que ce n’est pas un triomphe américain, mais canadien. Est-ce qu’une telle vertue serait possible au sein des américains, qui ont lancé une offensive massive dans les années après le 11 septembre ? Dans une scène brève, un New Yorkais noir nous raconte «Mon père m’a téléphoné et m’a demandé si j’allais bien au Canada. Comment pourrais-je lui dire que je n’allais pas bien, j’allais mieux que bien ?»

By the way, if you are intrigued to hear the songs the cast album is very good and available on all the usual streaming services. If you want to see the acting as well (which I recommend) but can’t make it to a local or New York production, they filmed a performance of the show and released it on 11 September 2021 to mark 20 years since the attacks. I haven’t seen the filmed performance, but it it is available on Apple TV.